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L'AFRIQUE ET LA FANTAISIE : OU SE SITUE LA FRONTIERE ?

Un monde passé ? Un monde futur ? Un monde parallèle ? Un monde surnaturel ? Un fantasme ??? Sans être une experte de la littérature à sensation forte, je me suis penchée sur le thème de la Fantasy afin de pouvoir donner un avis sur sa nouvelle tendance : l'Afrique !

La Fantasy ?

Paysage d'Afrique du Sud

Pour cela il a fallu que je cerne un peu mieux le terme Fantasy... Qu'est-ce que c'est? Après une rapide recherche, je découvre une définition qui me paraît confuse, avant de s'avérer être un concept qui aujourd'hui encore n'a pas fini de se définir. Tellement d'aspects s'entremêlent dans ce genre littéraire, d'après les nombreux ouvrages réalisés, que j'en suis venue à me demander : la fantasy c'est un monde passé ? Un monde futur ? Un monde parallèle ? Un monde surnaturel ? Un fantasme ??? Peut-être un peu de tout ça à la fois !



Il faut juste commencer par intégrer que la fantasy est un genre littéraire qui se déroule dans un monde imaginaire, en faisant appel au mythe, à la magie...



Et que dire de l'Afrique ?


Quand on y réfléchi bien, l'Afrique c'est la tradition. Avec ses peuples qui vivent, pour certains comme si l'Histoire n'avait pas 2000 ans et plus. L'Afrique c'est la modernité, avec l'explosion des technologies qui envahissent tous les milieux, créant ainsi des anachronismes sans précédent (c'est à peine si le pygmée du fin fond de la forêt n'a pas de téléphone portable avec GPS) ! L'Afrique c'est toute une multitude de croyances qui régissent la vie quotidienne, en si grande quantité que même l'esprit le plus cartésien de l'univers se désintègrerait à leur contact. L'Afrique c'est la terre des grandes légendes comme celle d'un enfant infirme qui devient grand guerrier et fonde l'empire du Mali*, ou encore celle d'un enfant qui n'est pas reconnu par son père et devient le roi sanguinaire qui soumet de nombreux royaumes à son autorité de Zulu**... L'Afrique c'est la terre des combats mystiques entre ma grand-mère et ses ennemis...



Un massaï avec son téléphone portable

Attendez, parmis les africains qui lisent cet article, vous n'avez jamais entendu ces histoires d'esprits ou de pouvoirs mystiques? De là où je viens, quand ce n'était pas un oncle qui luttait mentalement pour ne pas être « mangé » par un être malfaisant (tel était l'explication de sa maladie soudaine), c'était ma grand mère qui surprenait un esprit venu l'espionner chez elle et se mettait tout d'un coup à lancer des jurons, des menaces sans qu'on ne comprenne pourquoi... Je me rappelle aussi d'une période où petite, mes parents nous avaient interdit à mes frères et moi de rester dans la cours à la tombée de la nuit, car un mauvais esprit rodait par là... Ou une cousine qui "avait la tête ouverte" (expression pour dire "don de voir les esprits"), on a dû la lui refermer grâce à des potions et incantations pour ne pas qu'elle soit prisonnière du monde des esprits... Ou encore mes amis qui jurent que le manguier de leur quartier change de place toutes les nuits... Bref... On est nombreux en Afrique à vivre continuellement dans un monde "sans frontière" avec l'inexplicable, le spirituel, le surnaturel... Autrement dit, on reconnaît les autres dimensions comme vraies, et on apprend à vivre avec, car aucune frontirère n'est infranchissable! L'univers est une éternelle continuité. Ce monde qui peut avoir les règles de l'imaginaire pour beaucoup d'étrangers est notre quotidien ! L'Afrique c'est la terre de tous les possibles.

Ceci n'est pas un arbre mais 7 arbres entrelacés au Sénégal !! ©latrempe.com

Avec tout ce bagage mythique, mystique, spirituel, surnaturel (...) constant et permanent, l'Afrique peut enrichir incontestablement la fantasy ! Alors, pourquoi le genre fantasy n'est pas plus exploité par les africains? Vu la réserve inestimable d'inspiration qui existe autour d'eux, ils devraient être capables d'être leaders dans la manière de transporter un lecteur dans un monde inconnu, non? Qu'est-ce qui empêche les auteurs d'exprimer divers "possibles" où, face à des épreuves, le héros sort vainqueur grâce à ses forces intérieures et/ou des aides magiques? Est-ce nos mentalités qui sont façonnées pour s'empêcher de se projeter dans des profils aussi libres ? Ou encore, quelle place tient la littérature dans nos vies en Afrique ? Pas grand chose ? Résultat, il y a peu de lecteurs, peu d'auteurs, peu de diversité littéraire ??? Et justement, en terme de genre, quand un africain qui croit en l'infini de sa terre (dans le sens aucune frontière avec les autres mondes/dimensions) écrit un roman qui met en scène des personnages inventés dans des lieux inventés, avec des pouvoirs que tout le monde n'a pas, qui mènent des combats, des quêtes, desfois accompagnés d'animaux que presque personne n'a vu... Ce roman devient tout simplement une fiction ?! Non? Ou est-ce qu'on le range dans la fantasy pour satisfaire tout ceux qui ne croient pas que les conditions posées soient vraies ? Y'en a qui se sont perdus en chemin ? Du mal à me suivre ?



Revenons à l'écriture fantasy et ses auteurs orientés vers l'Afrique



L'Afrique, ce continent qui ne rate aucune évolution, a connu les premiers écrits de fantasy dans la deuxième

moitié des années 70 avec l'auteure noire américaine Octavia Butler. Mais là encore, son œuvre Paternmaster Series est classée science-fiction mais certains l'ont classé fantasy ! Dans cette série de romans, elle fait évoluer deux immortels (Doro et Anyanwu) dont on connait juste l'origine : l'ancienne Egypte. Ils ont survécu durant les millénaires grâce à la faculté de transférer leurs esprits d'un corps à un autre. Tous deux vivent dans un futur où Doro sélectionne les hommes qui composeront une nouvelle race évoluée selon leur apitudes mentales. Je pense que c'était un bon début pour allier science-fiction/fantasy et Afrique.



Mais le maître incontesté en la matière est le suivant : Charles Saunders ! Cet auteur noir d'origine américaine est le premier à avoir traité la fantasy sous un aspect entièrement africain : il a créé l'oeuvre « Imaro ». Quatre magnifiques livres qu'il a écrit entre 1986 et 2004, relatant les aventures d'un vaillant guerrier né d'un père inconnu et d'une mère bannie de son clan ! Il grandi mal-aimé parmis les siens (les llyassai) dans une Afrique appelée Nyumbani. Les nombreuses épreuves qu'il surmonte avec bravoure dans sa vie ne font que révéler petit à petit son destin grandiose. Les quatre romans ont été traduit en un seul en français : Imaro, Intégrale (cf. photo gauche). Amoureux des histoires de héros, C. Saunders a expliqué qu'il a créé Imaro pour contrer la vision rasciste de Tarzan : un homme blanc qui se trouve être un héros sur la terre sauvage d'Afrique... Saunders s'était senti obligé d'apporter autre chose au public.


Après Charles Saunders, dès la fin des années 90, l'auteur américain Mike Resnick interpèlle la communauté des fantasy-istes avec son oeuvre de nouvelles Kyrynyanga. Puis, le cinéma aidant, 2001 est l'année qui met sous les projecteurs le genre fantasy, avec la célèbre série de films "Le Seigneurs des Anneaux", adaptation au grand écran de l'oeuvre de J. R. R. Tolkien ! On assiste dès lors à un réel engouement pour ce genre littéraire. D'autres auteurs étrangers installent leur histoire en Afrique (La Tour des Rêves de Jamil Nasir, 2001; Acacia de David Anthony Durham, 2007; Le Roi d'Ebène de Christine Cardot, 2010... ). Les auteurs directement issus du continent africain affluent dans le mouvement fantasy surtout dès la fin des années 2000. - Barroco Tropical - José Eduardo Agualuza (2009, Angola) : en 2020 un journaliste est quitté par sa maîtresse, puis sa femme et ses enfants! Entre temps, le corps d'une mannequin tombe du ciel et s'écrase sous ses yeux. N'ayant plus rien à perdre, il mène alors son enquête dans une atmosphère mystique très étrange.






- Qui a Peur de la Mort - Nnedi Okorafor (2010, Nigéria) : une Afrique apocalyptique dans le futur, une femme réussi à s'enfuir et va mettre au monde sa fille issu d'un viol. L'enfant va grandir en développant des pouvoirs inhabituels et va se battre pour sauver sa liberté. Suite au succès du livre, une adaptation cinéma est en cours.




- Zoo City - Lauren Beuks (2010, Afrique du Sud) : dans un Johannesburg immaginaire, les criminels sont liés à des animaux et développent des dons particuliers. Zinzi a le don de retrouver les choses ou personnes disparues. On lui demande alors de mener une enquête pour retrouver une star de hip hop. Suite au succès du livre, une adaptation cinéma est en cours.




- Trilogie : Les chroniques de l'empire Ntu - M'buze Noogwani Ataye Mieko Momi (2013, RDCongo) : une Afrique dans un passé lointain, au sein d'un empire, des jeunes princes veulent renverser le pouvoir qui agit de façon malsaine. Une femme, l'élue, mènera le combat de l'empire vers la liberté.






- Série : Coeur de Flamme - Iman Eyitayo (2014, Bénin) : dans un monde imaginaire et dirigé par un Régisseur mystérieux, les jumeaux doivent être tués à la naissance. Une femme accouche de jumelle et abandonne l'une d'elles pour les sauver d'un cruel destin. La fille abandonnée va vivre cachée et développer le pouvoir du feu !





La liste précitée, n'est pas exhaustive et ne prend pas en compte le genre bande dessinée ou livres pour les 9-13 ans ! Ce sera peut-être le sujet d'un autre article. Le genre fantasy peut s'élargir au cinéma, au jeu vidéo... Et comme sa définition n'est toujours pas fini, les auteurs africains peuvent apporter leur contribution et en rédiger une partie.




Quelles répercussions sur les lecteurs ?


D'abord, le public est plutôt jeune (15-30 ans), ensuite il est plutôt ouvert, curieux. Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, La Croisée des Mondes, Le Dernier Maître de l'air, Avatar, la chaine de télé Syfy... Autant de programmes suivis par tous les âges !!! Le fantastique, la science-fiction, la fantasy attirent beaucoup car c'est différent du quotidien, ça émerveille, ça cultive, ça multiplie les façons de voir le monde, ça évade des tristes réalités... Et ça peut stimuler pour apporter des changements dans sa vie... Comme toutes les époques, la notre traine aussi son lot de problèmes, des problèmes que la jeunesse essaye de régler pour se sentir plus libre... Pour un continent comme l'Afrique qui vit une course sauvage à l'industrialisation, qui subi des pressions de parts et d'autres des puissances qui veulent la dominer, la population se retrouve otage et fait ce qu'on lui dit. Les Etats surexploitent les richesses minières, naturelles, sédentarisent les nomades, agrandissent les villes, imposent des langues officielles, cherchent à imposer des marchés... En très peu de temps l'Afrique subi des transformations énormes, et les populations font de grands efforts pour suivre ce rythme, pour s'adapter... Les pertes de repères culturels sont conséquents... On se retrouve comme coupé(e) de soi. Et c'est justement là que la fantasy peut jouer un grand rôle. Le travail des auteurs permet aux lecteurs d'explorer la culture ancestrale, de la connaître, de revoir son jugement, de se la réapproprier, de travailler avec elle, de construire avec elle, de se projeter dans le futur... N'oublions pas que dans l'ensemble des oeuvres de la fantasy, la quête de soi est un point central ! Tous ces livres débutent par un problèmes que rencontre le personnage principal (ville dévastée, rejet par l'entourage...) et petit à petit, il/elle apprend à connaître son entourage et puise au fond de soi la force nécessaire pour avancer, se faire une place et même triompher.


© Uhuru : Legend of the Windriders (Nigéria)

Je pense que le jeu de quête présent dans tous les livres de fantasy, peut encourager les jeunes à se chercher, à connaître leur histoire... Je paris sur la fantasy pour réconcilier le jeune public africain avec ses racines. Je paris que ce genre littéraire, en revalorisant notre héritage culturel, spirituel, mystique, nos médecines traditionnelles (...) contribuera à la sauvegarde de notre patrimoine traditionnel. Construire avec ce patrimoine nous rend plus fort et nous assure un avenir radieux. Je finis cet article, convaincue que l'Afrique regorge d'un énorme potentiel dans la littérature fantasy. Un potentiel qui n'est pas encore assez exploité par les auteurs actuels. Mais je sais que les choses n'iront qu'en s'améliorant.

(*) Référence à Soundjata Keita (**) Référence à Chaka Zulu Article publié précédemment le 02/02/2015 sur le blog culturel de notre site principal ici.



P1Mafrik Jeunes Talents

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